Nous en sommes au mois de décembre 2022 et achevons notre tranquille progression vers la fin d’une année chargée en développements et en bouleversements majeurs. Au plaisir de tous, un grand nombre d’experts s’entendent maintenant pour dire que les moments les plus éprouvants de la pandémie de Covid 19 sont maintenant derrière nous. Cette fin de 2022 est donc, pour plusieurs, l’occasion de finalement tourner cette page quelque peu morose.
Pour d’autres, la chose ne sera pas aussi simple. Effectivement, les deux dernières années ont été synonymes d’adaptations et de chamboulements. Nous nous souvenons tous de cette surchauffe immobilière qui a frappé pratiquement partout dans la province. D’un côté, les propriétaires se voyaient octroyer une bonification jubilatoire de la valeur de leur immeuble et, de l’autre, les acheteurs se retrouvaient à devoir participer à une joute féroce et coûteuse pour être en mesure de se procurer la demeure convoitée.
À l’image de la pandémie qui nous quitte petit à petit, la folie de l’immobilier semble perdre de sa virulence. Au lendemain de ces luttes sans merci pour l’accès à la propriété, des questions peuvent brûler les lèvres de certains. Plusieurs l’auront constaté, au fil des ventes et reventes, la composition des quartiers résidentiels s’est peu à peu modifiée. Nombreux sont ceux ayant maintenant un ou plusieurs nouveaux voisins fraîchement établis. Or, ce n’est pas toujours pour le mieux. Que ce soit le bruit incessant, des travaux qui n’en finissent plus, des odeurs nauséabondes ou des lumières de Noël fonctionnelles en plein mois de juillet, les sources de dérangement sont multiples, variées et quasi infinies.
Pour un juriste averti, il peut être bien simple de rappeler à son voisin s’étant doté d’un poulailler et d’une vingtaine de poules la définition de « troubles de voisinage ». Cependant, pour le commun des mortels, ce concept peut paraître flou et difficilement applicable. Les querelles de voisinage pouvant rapidement devenir source de maux de tête, une vulgarisation du concept pourrait s’avérer pertinente.
D’entrée de jeu, il faut spécifier l’existence de deux types de recours dans le domaine des relations de voisinage. Tel qu’il est possible de le faire dans toutes les autres sphères juridiques, un voisin peut très bien en poursuivre un autre en bonne et due forme s’il estime ses droits lésés. Une telle démarche nécessite la démonstration des trois points classiques : une faute, un préjudice et un lien causal. Par définition, un tel recours nécessite que le voisin en cause soit dans l’illégalité. La coupe d’un arbre sur un terrain n’étant pas le sien est un exemple patent parmi tant d’autres. Cependant, que faire lorsque notre voisin agit à l’intérieur des limites de la légalité tout en nous causant un dérangement préjudiciable? N’y a-t-il pas une limite à ce qu’un voisin peut faire bien qu’il soit propriétaire et qu’il ait la pleine jouissance de son terrain?
La réponse se trouve à l’article 976 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») :
« 976. Inconvénient normal de voisinage – Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux. »
De prime abord, plusieurs éléments importants entrent ici en ligne de compte. En premier lieu, il est question de voisins sans définition précise. Sachant que les bruits, les odeurs, la poussière voyagent aisément d’un quartier à l’autre, comment définir les limites du « voisinage »? Sous toutes réserves, une certaine proximité est nécessaire[1], mais chaque situation doit être étudiée au cas par cas. En revanche, il faut savoir que la définition de voisin inclut également les locataires et « […] toute personne exerçant un droit de jouissance ou d’usage […] »[2] sur la propriété dont il est question. Donc, en règle générale, habiter l’endroit d’où est perçu le dérangement est suffisant pour faire valoir ses droits en matière de troubles de voisinage.
Ensuite, remarquons que l’article 976 ne se base pas sur une interdiction, mais sur un appel à la tolérance de ce que le législateur appelle les inconvénients normaux du voisinage. Cette notion doit s’étudier selon une analyse « […] objective [qui] repose sur trois critères : la nature du fond (composition, sa vocation et son utilisation effective, sa situation (l’environnement dans lequel il se situe) et les usages locaux. »[3] Il faut donc conclure qu’un inconvénient précis pourrait être considéré comme excessif dans un certain quartier et tout à fait normal dans un autre. En termes plus simples, l’analyse ne peut être la même pour un locataire d’un condo au centre-ville de Montréal et pour un propriétaire d’un bungalow sur une rue tranquille de Saint-Eustache. Dans le même ordre d’idée, habiter à proximité d’un quartier industriel entraînera inévitablement plus de dérangements qu’en pleine campagne sans que ceux-ci soient considérés comme déraisonnables.
Cette dernière remarque est d’une grande importance puisqu’il s’agit justement du critère que les tribunaux retiennent : une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances conclurait-elle à un trouble méritant compensation?[4] Plus précisément, l’accent doit être mis sur deux éléments non exclusifs, mais déterminants : « […] la récurrence et la gravité de l’inconvénient […] »[5]. Un trouble de moindre envergure se répétant tous les jours pendant 6 mois pourrait très bien être considéré comme indemnisable contrairement à un inconvénient plus important, mais isolé.
Plusieurs auront remarqué qu’il est ici exclusivement question de l’inconvénient vécu et non du comportement qui l’engendre. Il s’agit ici de la différence majeure entre le régime de l’article 976 C.c.Q. et une poursuite judiciaire traditionnelle. En effet, ici, la faute du voisin en cause importe peu. Rappelons que les situations couvertes par l’article 976 sont des cas où un membre du voisinage cause un dérangement tout en respectant la législation applicable. Toute l’analyse repose donc uniquement sur l’inconvénient qu’en subit la victime. En allant plus loin, dans une situation de troubles de voisinage, l’existence d’une conduite en contravention avec la règlementation en place disqualifie automatiquement le trouble d’une analyse sous 976 C.c.Q.[6].
Pour revenir à l’étude du trouble du voisinage en lui-même, il peut être difficile de décrire exactement ce à quoi réfère un inconvénient anormal puisque chaque situation est différente et comporte ses propres caractéristiques. Pour y arriver, il faut se pencher sur les nombreuses décisions des tribunaux sur le sujet. Un jugement de l’honorable Suzanne Tessier[7] nous dresse justement une liste d’exemples de dérangements ayant été considérés comme étant des troubles anormaux du voisinage :
« Ainsi, que ce soit des travaux de construction qui ont eu l’effet de rehausser un terrain, obstruer un fossé arrière ayant un impact sur l’écoulement des eaux au détriment du terrain du voisin, des travaux d’excavation confiés à un tiers qui affectent l’usage du propriétaire voisin, l’exploitation d’une serre chauffée au bois qui crée des odeurs, une fumée produite par un système de chauffage, des travaux d’excavation endommageant des installations de Bell, une négligence de préserver la vitalité et la solidité des arbres situés dans l’alignement des propriétés, des travaux d’excavation provoquant l’érosion des terrains, l’assèchement de puits dû à des travaux […] »[8]
Finalement, ceux et celles qui se croient victimes d’un trouble anormal de voisinage doivent se poser différentes questions. Il est primordial de premièrement déterminer si le voisin à l’origine du trouble allégué est en contravention avec une règlementation en place. Ensuite, il faut s’attaquer à l’inconvénient ressenti. Ce dernier doit être suffisamment important et, en règle générale, prolongé dans le temps. Un évènement isolé devra être lourd de conséquences pour entrer sous la juridiction de l’article 976 C.c.Q. De plus, il faut prendre en considération l’environnement du voisinage en cause. Le dérangement, il faut le rappeler, sera évalué à la lumière de ce qui se fait normalement dans le quartier en question à cette période de l’année.
Le présent article offre un survol rapide des différents concepts entourant la notion de troubles de voisinage au sens de la loi. Cette question est essentielle puisqu’elle touche la totalité de ceux et celles vivant en société sous la juridiction de la Belle Province. Nous avons donc tous intérêt à connaître et comprendre les enjeux autour des relations de voisinage puisque nul n’est à l’abri d’un conflit éventuel avec l’un de ses voisins.
1 - Jean-Louis BEAUDOIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît Moore, La responsabilité civile, 9e éd., volume 1 : principes généraux, Édition Yvon Blais, 2020.
2 - Idem, p. 265.
3 - Trasler c. Chalati, 2018 QCCA 623, par. 77.
4 - St-pierre c. Daigle, 2007 QCCS 705.
5 - Idem note 1, p. 268.
6 - De Jesus v. Hartmann, 2019 QCCS 1642.
7 - Vidéotron, s.e.n.c. c. Titus, 2016 QCCS 4202
8 - Idem note 7, par. 40.