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Chronique

Bulletin Vos Affaires

Dans quelle mesure un avis google peut-il constituer une atteinte à la réputation?

2024-09-30
Droit à la vie privée
Me Si Bo Wang - 王思博律师
Me Si Bo Wang - 王思博律师
Dans quelle mesure un avis google peut-il constituer une atteinte à la réputation?

Avant d’acheter un produit, de payer pour un service ou de fréquenter un restaurant, les consommateurs de nos jours consultent de plus en plus les avis des autres consommateurs en ligne. Parmi tous les outils disponibles, le service de Google Maps est sans doute l’une des plateformes les plus utilisées. En plus de pouvoir émettre une note sous forme d’étoile, les utilisateurs peuvent également écrire un commentaire pour faire part de l’expérience qu’ils ont vécue par rapport aux produits et services reçus.

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Les avis Google permettent non seulement aux futurs consommateurs de connaître les spécialités de certaines régions et de s’informer sur les événements à ne pas manquer, mais servent également à lever des « drapeaux rouges » à l’égard des établissements à éviter. C’est pour cette raison qu’à l’heure actuelle, les entreprises font très attention à leur réputation sur les avis de Google parce qu’un avis négatif (soit une seule étoile) peut mener des impacts néfastes au niveau des affaires.

Chez les utilisateurs, l’occasion de partager leur expérience ou de dénoncer la mauvaise qualité de certains services ou produits n’est sans doute pas interdit. En fait, cette pratique est même encouragée afin de mieux informer les futurs consommateurs. Cependant, le danger est d’aller trop loin et de s’exposer à une réclamation en diffamation.

En effet, le simple partage d’information de manière objective est une chose. Par contre, le fait de diffuser des commentaires fautifs, erronés, exagérés dans un esprit de vengeance en est une autre.

Dans les lignes qui suivent, nous allons traiter de la question suivante : dans quelle mesure un avis Google peut-il être considéré comme diffamatoire et constituer une atteinte à la réputation?

D’abord, il faut garder à l’esprit que chaque individu a droit au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée1. Ce droit appartient également aux personnes morales, dont les entreprises2

La Charte des droits et libertés de la personne3 prévoit ce qui suit:

  • 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
  • 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
    En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. 

Au Québec, contrairement aux provinces de Common Law, les recours en diffamation s’inscrivent dans le régime général de la responsabilité extracontractuelle. C’est-à-dire que la responsabilité de l’auteur sera seulement retenue si le demandeur a réussi à prouver la faute, le dommage et le lien de causalité selon la prépondérance de preuve. 

Notons que l’atteinte à la réputation se heurte souvent avec le principe de la liberté d’expression. Selon la Cour suprême du Canada, la diffamation ou l’atteinte à la réputation peuvent être observée dans trois situations : 

  • [36] À partir de la description de ces deux types de conduite, il est possible d’identifier trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de paroles diffamantes.  La première survient lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux.  De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui.  La seconde situation se produit lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s’abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité.  Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers4

(L’emphase vient de l’auteur.)

Plus précisément, lorsque certains critères sont rencontrés, la fausseté des propos et le préjudice seront désormais présumés. Dans l’arrêt Grant5, la Cour suprême a énoncé trois critères :

  • [28] Celui qui intente une action en diffamation doit prouver trois éléments pour avoir gain de cause et obtenir des dommages‑intérêts: (1) que les mots en cause sont diffamatoires au sens où ils tendent à entacher sa réputation aux yeux d’une personne raisonnable, (2) que ces mots visent bel et bien le demandeur et (3) qu’ils ont été diffusés, c’est‑à‑dire qu’ils ont été communiqués à au moins une personne autre que le demandeur. Si ces éléments sont établis suivant la prépondérance des probabilités, la fausseté et le préjudice sont présumés, en dépit du fait que cette règle a été vertement critiquée […]  (Cette règle ne connaît qu’une exception, qui exige la preuve d’un dommage spécial pour les cas de diffamation verbale, à moins que les mots en cause ne soient intrinsèquement diffamatoires). Le demandeur n’a pas à prouver que le défendeur avait l’intention de causer un préjudice ni même qu’il a été négligent. Il s’agit donc d’un délit de responsabilité stricte. (Certaines références ont été omises) 

Qu’en est-il des avis publiés sur Google? 

Dans la décision Tremblay c. Gordon6 , la Cour supérieure du Québec a traité cette question dans un contexte intéressant. Dans cette affaire, une avocate poursuit son ancien client pour des propos que ce dernier a publié sur Google. Manifestement, le client est mécontent des services rendus par son avocate et il a publié un avis négatif à cet effet.

Afin de savoir si le commentaire était diffamatoire, le tribunal s’exprime ainsi :

  • [47] D’abord il faut tenir compte que le profil de Me Tremblay, tel que publié par elle-même sur Google, invite le public en général, dont les clients, à donner son avis sur les qualités professionnelles de cette avocate.
  • [48] Il faut se rappeler qu’avant la publication des propos litigieux, la note de Me Tremblay était de 4.6 sur 5.  Un avocat qui s’affiche sur internet ne peut pas s’attendre à recevoir que des commentaires positifs.
  • [49] Il faut se remémorer que Gordon a été un client de Me Tremblay pour quelques causes mineures et qu’il a référé quelques clients à celle-ci. Gordon était donc l’une des personnes qui pouvait exprimer une opinion ou un avis critique de Me Tremblay.
  • [50] Ainsi, quand Gordon fait référence au fait que Me Tremblay « envoie des mises en demeure sans raison et non légal (sic) » on sait de son témoignage qu’il fait référence à une citation à comparaître qu’il a reçue de Me Tremblay alors qu’il n’aurait pas eu à témoigner.                   Le Tribunal n’y voit rien de diffamatoire.
  • [51] Puis quand Gordon écrit : « elle écrit des points qui ne corresponde (sic) pas à la demande de succession, essais (sic) de faire renoncé (sic) les successions en privant autruie (sic) de les regardé (sic) » il fait référence au dossier qui implique sa mère Suzanne Aubin et cherche à se porter à sa défense.  Le Tribunal n’y voit rien de diffamatoire, une personne raisonnable y verrait une simple dénonciation d’une tactique d’avocats.
  • [52] Lorsque Gordon dit de Me Tremblay : «… ne retourne pas ses appels et dit qu’elle a oublié la date de court (sic) » il fait référence à son expérience personnelle selon laquelle Me Tremblay ne se serait pas présentée à la cour municipale et qu’il aurait été condamné par défaut.  Encore là, la personne raisonnable y verrait le fait de rapporter un fait vécu désagréable dans sa relation avec l’avocate.  Jusque-là, rien de diffamatoire aux yeux du Tribunal.
  • [53] Il en va autrement lorsque Gordon écrit : « hé bien le voici, je ne peu (sic) pas mettre 0 parce qu’il y en a pas (sic).  Elle n’a aucun professionnalisme, ne sais (sic) pas plaidé (sic) ses causes. »  Il ne fait aucun doute que ces commentaires sont gratuits, mesquins et tendent clairement à entacher la réputation de Me Tremblay.
  • [54] L’intention malicieuse de Gordon se confirme lorsqu’il termine en écrivant « vraiment ça fait dure (sic)… ».
  • [55] Le Tribunal est d’avis qu’une personne raisonnable verrait dans les derniers propos rapportés de Gordon (par.52-53) une vindicte incontrôlée, vexatoire qui a tendance à ternir la réputation de Me Tremblay.
  • [56] Somme toute, une partie importante des écrits de Gordon, reste diffamatoire aux yeux d’une personne raisonnable et du Tribunal. 

Plus tard, le tribunal a conclu que la conduite du défendeur constitue une faute : 

  • [61] En l’espèce, nous sommes dans la situation selon laquelle le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec l’intention de nuire, s’attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l’humilier, à l’exposer à la haine ou au mépris du public ou d’un groupe visé, ici, la clientèle cible de Me Tremblay.
  • [62] Indubitablement, le Tribunal est d’avis que Gordon a commis une faute sanctionnable en propageant par méchanceté certains propos qu’il savait faux à propos de Me Tremblay.

Dans un autre dossier, la Cour supérieure du Québec a également condamné un client insatisfait qui a publié un avis sur Google et des commentaires sur la page Facebook d’un salon de coiffure afin d’inciter les clients de ce dernier à ne plus retenir ses services7

Selon la Cour du Québec, le critère d’appréciation dans un dossier de diffamation est la norme objective d’un citoyen ordinaire. Dans le dossier Slim c. Singer8, la Cour s’exprime ainsi :

  • [21] Pendant la plaidoirie, la responsabilité civile sous l’angle spécifique de la diffamation est soulevée. Le recours en diffamation n’est pas spécifique et il repose donc sur le régime général de la responsabilité civile, bien que la faute corresponde à « la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. » Cette faute peut résulter soit d’une conduite intentionnelle de mauvaise foi, ou soit d’une conduite non intentionnelle, relevant de la témérité, de la négligence, ou de l’incurie9

En ce qui concerne l’indemnisation des dommages, il faut comprendre que seul le préjudice immédiat et direct de la faute peut être indemnisé. Ce préjudice peut inclure les dommages pécuniaires et non-pécuniaires, que nous appelons aussi les dommages moraux. À ceux-là s’ajoutent les dommages punitifs si la faute constitue une atteinte intentionnelle et illicite au sens de la Charte des droits et libertés de la personne10

En terminant, les règles applicables et la jurisprudence en matière des poursuites en diffamation à la suite des avis publiés en ligne nous enseignent ce qui suit :

  1. Le droit des consommateurs d’exprimer leur appréciation ou leur commentaire est sans doute pertinent; 
  2. Or, le fait d’utiliser les outils technologies pour publier des propos diffamatoires afin d’attaquer intentionnellement la réputation d’une autre personne peut constituer une faute civile; 
  3. La victime peut être une personne physique ou une personne morale; 
  4. La diffamation se retrouve principalement dans trois situations : une personne publie des propos négatifs en sachant que c’est faux; une personne publie ces propos négatifs alors qu’il devrait savoir qu’ils sont faux; une personne publie des propos négatifs sur un tiers sans juste motif bien que le contenu soit véridique.
Dans tous les cas de figure, les utilisateurs de ces plateformes doivent être prudents avant de publier un commentaire et surtout ne pas utiliser ces derniers comme un outil de vengeance pour intentionnellement attaquer la réputation d’une personne ou une entreprise. 

Parallèlement, à l’ère numérique, les entreprises doivent se tenir informées et demeurer particulièrement vigilantes afin qu’elles puissent agir en conséquence lorsqu’elles se croient victimes de diffamation.

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1 -  Code civil du Québec, RLRQ c CCQ, art. 2. 

2 -  Jardins du Mont inc. c. Provigo Distribution inc., 1994 CanLII 3672 (QC CS), par. 7.  

3 -  RLRQ, c. C-12.

4 -  Prud'homme c. Prud'homme, 2002 CSC 85, par. 36. 

5 -  Grant c. Torstar Corp., 2009 CSC 61, par. 28.  

6 -  2020 QCCS 1166.

7 -  Salon Karo Pro Koiffe c. Lafferrière, 2019 QCCS 4352. 

8 -  2023 QCCQ 14. 

9 -  Id. 

10 -  Préc., note 3. 

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