La popularité des médias sociaux n’est plus à refaire. Ces plateformes proposent aux utilisateurs un endroit pour partager de façon spontanée divers propos, allant du partage de certains moments du quotidien vers des commentaires de l’actualité destinés à un auditoire beaucoup plus étendu. Bien que l’utilisation que chacun fait des réseaux sociaux soit grandement variée, les thèmes centraux sont le partage et la liberté d’expression. Or, la liberté d’expression a-t-elle des limites? Quelles sont les conditions pour que certains propos injurieux soient reconnus comme étant « diffamatoires » et que devra prouver la victime si elle intente un recours pour obtenir compensation?
Conditions d’application pour propos diffamatoires
La Cour suprême rappelle que la nature des propos diffamatoires s’évalue selon une norme objective. Cela signifie qu’il revient aux juges de déterminer si « un citoyen ordinaire, estimerait que les propos tenus, dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers »[1]. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, des propos peuvent être diffamatoires de différentes manières, même par insinuation. Comme la Cour suprême l’a précisé, la forme du libelle importe peu puisque ce qui distinguera des propos diffamatoires réside plutôt dans le résultat qui sera obtenu dans l’esprit du lecteur.
Nécessité de la preuve du dommage pour le recours de la victime
La diffamation ne sera sanctionnée par une compensation pécuniaire que si elle constitue une faute et entraîne un dommage[2]. Il y a deux moyens de qualifier le comportement de l’auteur de la présumée diffamation comme étant « fautif ». Évidemment, l’auteur des propos peut s’en prendre à la réputation d’une personne volontairement et avec l’intention de nuire. D’un autre côté, même si la volonté de nuire est absente, un auteur pourra avoir porté atteinte à la réputation de la victime par sa négligence[3]. Pour apprécier la faute, il faudra regarder certains critères tels le contexte dans lequel la diffamation a été faite, l’effet que l’atteinte a produit ainsi que le fait que la personne victime soit une personnalité connue ou pas[4].
Les conflits familiaux sont fréquemment à l’origine de la publication des propos diffamatoires sur les réseaux sociaux. Par exemple, dans une décision de 2012, une dame reprochait au conjoint de sa fille d’avoir fait une publication sur son mur Facebook qui l’accusait, sans toutefois la nommer, d’avoir détruit une famille[5]. L’auteur de ces propos s’était fait retirer ses enfants durant quelques jours suivant un signalement auprès du Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ). Alors que le tribunal doit évaluer si les propos sont diffamatoires, le juge s’attarde sur la possibilité pour les « amis » de l’auteur ayant accès à sa page de savoir qui est effectivement visé par les propos. Il conclut en exprimant :
[87] Pour qui ne sait pas ce qui se passe dans la maison des défendeurs, ce texte est totalement inoffensif.
[88] Pour ceux qui connaissent G... P... et qui ne connaissent pas le vécu des défendeurs à l'époque où ce texte a été écrit, ils ne peuvent rien en déduire.
[89] Il n'y a que les proches, les amis et la famille au courant de ce qui se passe dans la maison des défendeurs qui peuvent comprendre la désapprobation par S... S... des gestes qu'il attribue à sa belle-mère.[6]
La cour estime que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer l’esprit malveillant du défendeur alors qu’il a tenu ces propos, mais qu’il a certes été malhabile « d’exposer ses états d’âme sur le Web »[7].
Alors que des propos diffamatoires peuvent être prononcés « directement », ils peuvent également tenir de l’insinuation. Dans la décision Lapierrec. Sormany[8],le défendeur, un journaliste, avait publié sur Facebook des propos laissant croire, dans toutefois l’exprimer ouvertement, que le demandeur (un commentateur politique bien connu) transigeait avec un entrepreneur au cœur de la controverse entourant la lutte anti-corruption pour suggérer qu’une telle collaboration contrevenait, bien entendu, aux fonctions du demandeur, ce qui avait pour effet de le déconsidérer. Pour que des insinuations soient constitutives de diffamation, la Cour supérieure du Québec a statué qu’il faut établir que « l’insinuation soit suffisamment péjorative et forte pour qu’une personne ordinaire donne vraisemblablement au propos un sens qui déconsidère la victime »[9]. Dans ce cas particulier, la cour estima que c’était le cas et des dommages-intérêts compensatoires de 22 000$ furent accordés au demandeur.
En somme, lorsqu’il sera confronté à l’évaluation de propos pouvant être qualifiés de diffamatoire, le juge devra faire une analyse minutieuse de la preuve et trouver un juste équilibre entre la liberté d’expression et la protection de la réputation, deux valeurs fondamentales dans notre société démocratique. Or, la liberté d’expression n’est pas absolue, et les comportements fautifs seront sanctionnés lorsqu’ils porteront atteinte fautivement à la réputation d’une personne.
[1]Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 RCS 663, 2002 CSC 85, para. 34.
[2]Jean-Louis Baudouin, La responsabilité civile, volume 1 – principes généraux, 7eédition, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2007, p. 260
[3]Ibid, p. 266
[4]Id. p. 273
[5]G.P.c. S.S., 2012 QCCQ 8325
[6]i.d.
[7]i.d., par. 86.
[8]Lapierre c. Sormany, 2012 QCCS, 4190
[9]Id., para 105