En ces temps de COVID, les affaires se font de plus en plus à distance, derrière un écran, avec un cocontractant qui est possiblement dans une autre province, voire dans un autre pays.
Dans un tel contexte, quels sont les enjeux à considérer?
Révisons quelques clauses auxquelles il faut prêter attention lors de la conclusion d’un contrat à distance.
Dans un contrat entre deux parties dans deux juridictions différentes, il est préférable de prévoir au contrat le régime de lois de laquelle des juridictions s’appliquera au contrat.
Ceci est une clause dite ‘de for’ ou ‘d’exclusion de for’.
Cette clause de for peut être toute simple. Par exemple, elle peut prendre la forme suivante :
« Le présent contrat est régi par les lois du Québec et si un litige devait découler du présent contrat, celui-ci sera soumis aux tribunaux du Québec, district de Montréal. »
Les cocontractants peuvent même préciser le district dans lequel soumettre le litige.
Cette clause de for lie les parties à l’exclusion de tout autre juridiction. On ne peut déroger à une telle clause si elle est claire et librement négociée.
Si un cocontractant remarque une telle clause dans un contrat, et qu’il est en désaccord avec celle-ci, il doit la renégocier avec l’autre partie.
Voyons quelques exemples jurisprudentiels.
Procam International inc. c. Matson Logistics inc., 2017 QCCS 1280
[8] Le Contrat comprend une clause d’élection de for et de choix de droit qui se lit comme suit :
«This Agreement will be construed in accordance with the laws of the State of California, exclusively without reference to the laws of any other state or country, subject to the laws, rules or regulations of the United States to the extent applicable. The parties consent and agree to the exclusive jurisdiction of the federal and/or state court of California in any action brought under this Agreement and that any such court will be an appropriate forum for such action. »
[17] La clause d’élection de for ne laisse pas de doute quant au fait que les parties se sont engagées à saisir exclusivement les tribunaux californiens de tout recours en lien avec le contrat.
Hôtels Côte de Liesse inc. c. Holiday Hospitality Franchising, 2018 QCCS 1540
[2] Depuis les arrêts GreCon Dimter inc. de 2005 (C.S.C.) et STM c. Matrox Graphics de 2007 (C.A.), seule peut être considérée comme une véritable clause d’élection de for celle qui, en des termes clairs, oblige impérativement et irrévocablement les parties, ou à tout le moins l’une d’entre elles, à intenter tous ses recours devant un tribunal précisément désigné et exclusivement devant ce tribunal.
[3] La clause d’élection de for doit avoir un caractère impératif et doit également avoir pour effet de conférer de manière claire et précise une compétence exclusive au tribunal désigné.
Si le contrat ne comporte pas de clause de for, ou si celle-ci est ambiguë, ce seront les règles du droit international privé, articles 3109 et suivants du Code civil du Québec, qui s’appliqueront.
Cette situation est moins favorable, car elle peut susciter de nombreux débats entre les cocontractants.
Par exemple, l’article 3112 du Code civil du Québec édicte :
En l’absence de désignation de la loi dans l’acte ou si la loi désignée rend l’acte juridique invalide, les tribunaux appliquent la loi de l’État qui, compte tenu de la nature de l’acte et des circonstances qui l’entourent, présente les liens les plus étroits avec cet acte.
L’article 3113 du Code civil du Québec précise :
Les liens les plus étroits sont présumés exister avec la loi de l’État dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique de l’acte a sa résidence ou, si celui-ci est conclu dans le cours des activités d’une entreprise, son établissement.
Nous imaginons bien les arguments que ces deux articles peuvent susciter entre deux parties qui cherchent l’application de certaines lois plus favorables que d’autres.
Pour éviter tout litige, il est préférable d’inclure une clause de for dans un contrat bijuridictionnel, ou même dans un contrat entre deux parties dans des villes différentes.
À l’instar de la clause de for, la clause d’élection de domicile est la mention par laquelle une partie rend expresse le lieu de son domicile.
Par exemple :
« Pour les fins de ce contrat, Cocontractant 1 établit son domicile au 123, rue de la Montagne, Montréal, Québec, H1A A1A. »
Cette clause peut être utile dans les cas où une partie est domiciliée dans un certain district, mais préfère être domiciliée dans un autre pour les fins du contrat.
Par exemple, une entreprise est située dans un district lointain, mais souhaite, pour les fins du contrat, fixer son domicile aux bureaux de son président ou aux bureaux de leurs avocats.
La clause d’élection de domicile ne remplace pas une clause d’élection de for. La clause d’élection de domicile est utile en cas d’absence de la clause de for, sinon elle est à titre informatif uniquement.
Au Québec, certaines dispositions stipulent que certains types de contrats doivent être rédigés en français, à moins que les parties en décident autrement de façon expresse.
Ces types de contrats sont les suivants :
Pour éviter toute ambiguïté, il est préférable d’inclure au contrat une clause stipulant que les parties ont mutuellement accepté de rédiger le contrat dans une langue autre que le français.
La clause peut prendre la forme suivante, en français même si entourée de clauses dans une autre langue :
« Les parties ont de consentement mutuel rédigé ce contrat dans une langue autre que le français. »
Encore faut-il que le contrat soit rédigé une langue comprise par les deux parties!
Lorsque les deux parties signent le contrat séparément, dans deux villes différentes, dans laquelle des deux villes le contrat est-il conclu?
L’article 1387 du Code civil du Québec répond à cette question :
Le contrat est formé au moment où l’offrant reçoit l’acceptation et au lieu où cette acceptation est reçue, quel qu’ait été le moyen utilisé pour la communiquer et lors même que les parties ont convenu de réserver leur accord sur certains éléments secondaires.
Voici une illustration de l’article 1387 par une situation courante :
Ce contrat est donc conclu jeudi, à Montréal, au moment et au lieu que Cocontractant 1, celui qui a offert le contrat, a reçu le contrat signé.
Quant aux « éléments secondaires » du contrat, ceux-ci réfèrent à tous les éléments non-essentiels du contrat, tandis que les éléments essentiels du contrat sont ceux qui touchent à l’essence même du contrat, dont notamment l’objet du contrat (vente ou services) et le paiement.
Cependant, une clause expresse peut toujours écarter l’article 1387, comme une clause d’élection de for ou une clause qui stipule que le contrat est réputé conclu dans une telle ville.
Récapitulons les notions vues ci-haut et examinons comment différents types de clauses peuvent s’agencer, avec l’exemple de l’arrêt Hydro-Québec c. Canmec Industriel inc., 2014 QCCA 919 :
[25] Dans les faits, le contrat est conclu à Saguenay, en application de l’article 1387 C.c.Q. Ceci est d’ailleurs été admis par les parties. Donc, en principe la Cour supérieure du district de Chicoutimi est compétente pour décider de l’affaire.
[26] L’appelante allègue que la clause 2.6 des clauses générales a eu pour effet de faire perdre compétence au district de Chicoutimi :
2.6. Lieu de passation du contrat
Les parties conviennent que le contrat a été conclu à Montréal et est régi par les lois applicables au Québec et que tout litige découlant de son exécution est soumis à la juridiction exclusive des tribunaux du Québec.
Nous pouvons déjà entrevoir le problème de cette clause : Elle stipule que le contrat a été conclu à Montréal, malgré le lieu réel de passation, et elle est en même temps une clause de for soumettant le contrat aux lois et tribunaux du Québec. Mais contrairement à toute bonne pratique, cette clause ne précise pas dans lequel district du Québec ce litige doit être entrepris…
[29] Comme le mentionnait avec raison le juge Guy Gagnon, siégeant comme juge unique, l’article 1387 C.c.Q., même s’il ne constitue pas une disposition d’ordre public, trouve application dans la mesure où il n’est pas expressément écarté.
[30] Pour écarter de façon expresse la règle prévue à l’article 1387 C.c.Q., il faut le faire dans une disposition claire et non ambigüe, ce qui est d’autant plus pertinent, car nous sommes ici en présence d’un contrat d’adhésion qui s’interprète, en cas d’ambiguïté, en faveur de l’adhérent.
[31] Dans le contexte du présent contrat, la clause 2.6 n’est pas claire et porte à confusion. […]
[33] La clause 2.6 ne désigne aucun district judiciaire spécifique devant lequel une action peut être portée; elle ne peut contrecarrer l’option exercée par l’intimée. Au contraire, cette clause établit clairement « que tout litige découlant de son exécution est soumis à la juridiction exclusive des tribunaux du Québec », ce qui englobe tous les districts judiciaires, y compris celui de Montréal. Cela n’exclut pas que la détermination du district judiciaire puisse se faire selon les règles ordinaires.
En plus d’illustrer la portée des clauses de for et de l’application de l’article 1387, cet arrêt démontre également les problèmes causés par une clause ambiguë.
Pour trancher un sujet aussi simple que le lieu de conclusion d’un contrat, ces deux grandes entreprises sont allées d’abord à la Cour supérieure, puis à la Cour d’appel, pour finalement être renvoyées devant la Cour supérieure pour poursuivre le litige sur le contenu du contrat!
En conclusion, il y a plusieurs enjeux à considérer lors de la conclusion d’un contrat à distance. Il faut faire preuve de prudence, et surtout, bien préciser la volonté des parties par des clauses claires et expresses. En cas de doute sur une clause, n’hésitez à contacter un avocat avant de signer : cela vous épargnera peut-être un passage à la Cour d’appel…